Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Une hirondelle en exil
26 juin 2014

Entendre la douleur et.... ne rien faire...

Voilà longtemps que je n'ai pas mis à jour ce blog. Je ne manque pourtant pas d'idées et je pense faire plusieurs articles pour me rattraper.

 

Je tenais tout particulièrement à vous faire partager un moment difficile.

Comme je l'ai dit, je suis étudiante infirmière.

Je fais un stage de 10 semaines dans un lieu que je ne citerai pour des raisons de secret professionnel.

Un patient m'a émue, m'a touchée, m'a bouleversée.

Ce pauvre monsieur, approchant les 91 ans, se mourait d'un cancer de la vessie. Sa tumeur partait en lambeaux, provoquant au passage de vives douleurs.

Je l'ai connu plutot en forme. Toujours alité, qui essayait parfois de se lever, au risque de tomber. Une sonde vésicale en permanence.

Il mangeait d'un bon appétit, plutot gourmand, avec une préférence pour le chocolat.

Sur un de ses bras, un tatouage daté de 1943 dans la Silésie, une région du nord de la Pologne, où il a été comme prisonnier de guerre.

Bref, un sacré bonhomme plutot sympathique.

Puis son état s'est dégradé, à cause de cette tumeur. Il dormait de plus en plus, sa sonde déversait de plus en plus de sang, mêlé à l'urine, des caillots de sa tumeur, le tout sous des cris de plus en plus puissants.

Voilà sa fin de vie : toujours alité, que l'on nourrit, que l'on change, que l'on lave et qu'on habille. Le temps passant, on abandonne le tee-shirt pour une chemise de malade, pour le laisser tranquille.

Et puis les cris, de plus en plus présents, plus longs, plus douloureux à entendre aussi.

Alors on commence à administrer des antalgiques. Il se vide de son sang, le médecin propose une transfusion. La famille refuse pour ne pas faire d'acharnement. La fin est connue et proche. Le médecin parvient à les convaincre de la faire. Il a mêlé son histoire personnelle dans sa prise de décision. Mais on est tous humain, on ne peut pas l'en blâmer.

Puis, il faut passer à la morphine. Elle passe lentement, de façon très contrôlée, au travers d'une seringue auto-pulsée. Débit constant, le liquide va directement dans la veine...

Pourtant, très rapidement, il faut augmenter la dose. Puis, quand la douleur survient (heureusement pour lui, elle n'est pas en continu), l'infirmière ou moi-même administrons un "bonus". On prend la seringue, on injecte 3ml d'un coup, pour soulager ce pic de douleur.

Mais tous les quart d'heure on l'entend crier depuis le fond du couloir. L'étage au dessus entend aussi les cris.

 

douleur

Et nous, on entend ça... et on n'a le droit de rien. Il faut 30 min d'écart entre deux bonus de morphine. Mais il a mal. Il crie, il n'en peut plus.

Et cette transfusion qui lui a permis de vivre plus longtemps pour ces jours heureux...

Comme j'aimerais (et l'infirmière aussi) lui administrer toute cette seringue d'un coup. Le plonger dans le coma ou mieux, l'euthanasier. Ainsi il cesserait de souffrir.

Comme l'a fait remarquer une infirmière : quand un animal souffre, on le pique. Quand c'est un homme, on le laisse vivre jusqu'au bout.

Qu'est ce que ces jours peuvent lui apporter ? J'ignore d'où il tire la force de crier. Il est maigre au possible, je n'ai jamais vu un sternum pareil. Tout le monde souffre de cette situation et pourtant, légalement, on ne peut rien faire.

Qu'est ce que je peux faire pour aider cet homme ? Nul ne peut partager sa douleur et on ne parvient même pas à le soulager (une grosse frustration pour le médecin aussi).

Alors je lui tends la main. Inutile de parler. Quand il crie, je suis avec lui, je lui caresse la joue, je lui prends la main, je ne peux qu'accompagner avec toute ma peine et ma compassion.

 

aider

 

Quelques jours plus tard, cet homme s'est éteint. Et on n'a plus entendu un cri.

Mais la frustration est toujours là...

 

Le débat sur l'euthanasie est une vraie nécessité selon moi. Il est vrai que j'ai été confrontée à un autre cas où c'est plus discutable. Je pense qu'il faut voir les choses au cas par cas.

Cet homme voulait mourir, il l'a dit, avant que la morphine ne le fasse délirer.

Je ne me plains pas, j'étais face à un patient que je ne connaissais pas personnellement, sans attachement à lui.

Mais si demain, ça devait arriver à un de mes amis ? à un membre de ma famille ?

Et vous ? que feriez vous si quelqu'un que vous aimez souffre à ce point ?

Je pense que vous aimeriez avoir quelque chose à lui apporter...

Publicité
Publicité
Commentaires
Z
Je me suis retrouvé dans tes mots.Moi même ,travaillant dans un service"fin vie" je me dis souvent que le débat sur l'euthanasie n'intéresse pas nos politiciens.Très bon et réaliste article.Merci.
Une hirondelle en exil
Publicité
Archives
Publicité